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Un président (de la SDS) ne devrait pas dire ça!

Editorial du 18e congrès SDS

Prof. Jacky Samson

« A quelques-uns l’arrogance tient lieu de grandeur, l’inhumanité de fermeté et la fourberie, d’esprit. »
Jean de la Bruyère

Dans son numéro du 25 novembre 2016, le Temps a publié un article intitulé « Les assureurs font pression sur les marges ». Pour plus de transparence, il aurait fallu  préciser que Santésuisse – qui aimerait être encore l’unique organisation faîtière des assureurs – était à l’origine de cette démarche. En avril 2013, il y a eu un schisme : la CSS et Helsana, respectivement 1er et 3ème assureurs suisses, ont quitté Santésuisse et, avec Sanitas – qui les avait précédés en 2011- et la KPT, ils ont créé une nouvelle organisation: Curafutura ou les assureurs maladie innovants. Ce schisme a été provoqué par le comportement du Groupe Mutuel (GM), accusé d’enfreindre les règles de la concurrence, en particulier en faisant la chasse aux « bons risques ». En mars 2014, la FINMA (autorité fédérale de surveillance des marchés financiers) a lancé une procédure contre le GM et a rendu, en juillet 2015, une décision qui a condamné la gouvernance du GM. En novembre 2016, le Tribunal Administratif Fédéral a confirmé les sanctions de la FINMA. Bien que sévèrement rappelé à l’ordre, le GM conserve son comportement d’activiste : sous le paravent de Santésuisse, il s’attaque pour la Xème fois aux pharmaciens et il est intervenu au tribunal pour s’opposer à l’inscription au registre du commerce de TARMED Suisse SA créé par Curafutura, la FMH, H+ et la CTM ; ces 2 derniers organismes représentent les Hôpitaux de Suisse et la Commission des tarifs médicaux.  En novembre 2015, Santésuisse et le Konsumentenforum ont lancé un site (hostofinder.ch) qui propose une étude comparative des hôpitaux suisses. En octobre 2016, Santésuisse demande l’abrogation du principe de territorialité qui interdit le remboursement des médicaments achetés à l’étranger. En novembre 2016, Santésuisse affirme que « La mesure uniforme en continu, au niveau national, de la qualité des soins – combinée à un assouplissement de l’obligation de contracter – permettrait non seulement d’améliorer notre système de santé, mais aussi d’économiser chaque année cinq à sept milliards de francs ». Tout ceci paraîtrait sans doute plus crédible si la gestion du GM (qui manipule Santésuisse) n’avait pas été épinglée par la FINMA ? Que nenni : « le GM vient de se hisser au sommet du parlement … les deux nouveaux présidents du Conseil des Etats et du National sont rémunérés par l’assureur maladie ».

Dans ce contexte quasi ubuesque, les partenaires tarifaires n’ont pas pu s’accorder pour présenter une refonte de la convention tarifaire (le TARMED) dans le délai prévu (fin juin 2016). Le Département fédéral de l’Intérieur (DFI) leur a accordé un délai supplémentaire de 4 mois. Le 31 octobre 2016, aucun accord n’avait pu encore être trouvé : le DFI a proposé au Conseil fédéral de faire usage de sa compétence subsidiaire et d’entreprendre la révision du TARMED. Pour mémoire, le TARMED qui comporte environ 4600 positions (environ 500 dans le Tarif dentaire) est entré en vigueur le 1er janvier 2004 et il a déjà subi plusieurs aménagements, adaptations ou révisions mineures. La dernière a pris effet le 1er octobre 2014 et elle a été imposée par une ordonnance du Conseil Fédéral faute d’accord entre les partenaires tarifaires. H+ ayant dénoncé la convention cadre pour la fin 2016, le Conseil Fédéral vient de reconduire la convention  tarifaire jusqu’à la fin 2017 …  car il a admis, dans un second temps, qu’il était impossible de  réaliser la révision profonde prévue dans un délai aussi bref.

En quoi tout cela nous concerne-t-il ? Hormis le fait que l’on peut compatir sur le sort réservé aux confrères médecins, ceci nous concerne sur deux points au moins. Nous ne voudrions pas faire une comparaison désobligeante et cruelle mais on ne peut s’empêcher de rappeler que le Tarif dentaire est entré en application en 1994. Depuis cette date, il n’a subi aucune adaptation ou ni aucune révision. Peut-être est-ce faute d’être représentés par un partenaire tarifaire actif ou qui n’a pas su capter suffisamment  l’attention du Conseil fédéral ? Or, une révision de notre Tarif dentaire est facilement envisageable, en respectant la neutralité des coûts, leitmotiv que les assureurs maladie ont réussi à imposer aux politiciens comme un axiome. Peut-être pourrait-on demander aux assureurs qui se considèrent comme les mandataires des assurés, de penser eux aussi à la neutralité des coûts et de les contraindre à la respecter en demandant également l’abrogation du principe de territorialité … pour l’assurance maladie ?

En évoquant les relations entre le Conseil fédéral, les partenaires tarifaires et les assureurs, on ne peut s’empêcher de penser à ceux qui plaident pour la création d’une assurance dentaire obligatoire. Ils envisagent naïvement une assurance cantonale car ils méconnaissent l’appétit des assureurs qui s’étripent pour une assurance maladie sur laquelle ils sont sensés ne réaliser aucun bénéfice. Imaginons cette assurance dentaire entre les griffes des assurances maladie: pourquoi accepteraient-ils d’envisager une révision du Tarif ou une réévaluation de la valeur du point? Ils ne l’ont pas fait pour le Tarif dentaire actuel alors qu’il était prévu que la valeur du point pour les assurances serait réévaluée dès que « l’indice suisse des prix à la consommation aura fluctué de 10 points au moins par rapport au niveau indiqué au ch.1 al. … ». On peut considérer que cette augmentation a été atteinte au plus tard en 2005! Qu’attendent donc les assureurs et la SSO pour procéder à cette réévaluation? Ces derniers ne peuvent même pas se retrancher derrière la neutralité des coûts car, selon les données de l’OFS (office fédéral de la statistique), à l’opposé des soins médicaux quelle que soit la catégorie, le coût des soins dentaires a augmenté moins rapidement que le PIB  sur la période allant de 1995-2013 ; en 1995, le coût des soins dentaires représentaient 7,3% des dépenses de santé, en 2013 seulement 5,7%. Entre 2004 et 2014, le coût des soins dentaires a augmenté de 1,4% alors que celui des soins médicaux augmentait de 2,9%. Il y a donc une maîtrise spontanée du coût des soins dentaires qui confirment l’efficacité des mesures préventives et la sagesse des confrères dans la facturation de leurs soins.

Selon les promoteurs, cette initiative pour une assurance dentaire entend « mettre fin aux inégalités et combler une lacune dans le système de santé suisse ». N’y a-t-il pas d’autres lacunes plus criantes dans le système de santé? Les lunettes, les prothèses auditives sont-elles prises en charge? Pourquoi les assurances peuvent-elles refuser ou restreindre, de façon discrétionnaire, la prescription de certains médicaments onéreux (nouvelles chimiothérapies anti-cancéreuses, traitements récents pour l’hépatite C …) alors que ces traitements sont pris en charge dans d’autres pays? Ces différentes initiatives  correspondent à des manœuvres politiques et elles sont dirigées contre une profession qui a une image plus négative que celle des assureurs! Peut-être devrions-nous méditer sur cette situation?

L’assurance dentaire obligatoire conduira à un bouleversement dans notre activité professionnelle. Cette assurance ne pourra pas méconnaître les critères instaurés par la LAMal: tous les soins dentaires devront être efficaces, appropriés, économiques, comme pour les assurances sociales. Chacun a pu s’apercevoir qu’il s’agissait de critères relativement flous et que les médecins-dentistes conseil avaient souvent une définition différente de la vôtre. Ce contrôle tatillon, voire arbitraire, conduira inéluctablement, dans le temps, à une modification des indications de traitement et à une dégradation de la qualité des soins. De plus, cette assurance dentaire obligatoire risque rapidement de singer les assurances maladie et de proposer également la création d’un site pour évaluer vos prestations et d’obtenir, comme le réclament avec insistance certaines assurances maladie, la fin de l’obligation de contracter.

Depuis de nombreuses années, la SSO s’oppose à l’assurance dentaire en faisant toujours appel au même paradigme: les affections bucco-dentaires sont presque toutes évitables et l’assurance dentaire déresponsabiliserait les patients. Or, pour la LAMal, la SSO a accepté la prise en charge des soins dentaires « occasionnés par une maladie grave et non évitable du système de mastication, ou occasionnés par une autre maladie grave ou ses séquelles, ou nécessaires pour traiter une maladie grave ou ses séquelles ». Il y a là une entorse au principe absolu défendu par la SSO: par exemple, les soins dentaires nécessaires pour la réalisation du traitement d’un cancer de la cavité buccale chez un patient éthylo-tabagique (qui a presque toujours une hygiène bucco-dentaire insuffisante) sont pris en charge par l’assurance obligatoire de soins. Il faudrait peut-être envisager de ne plus s’arc-bouter sur ce seul principe. Il y a bien d’autres arguments à développer auprès des médias et des politiques pour démontrer la perversité d’une telle assurance. D’abord, leur expliquer sans relâche que nous ne cherchons nullement à défendre des intérêts corporatistes ou à se soustraire à un éventuel contrôle ; nous refusons avant tout une charge administrative supplémentaire. Puis, il faut que chacun s’efforce, dès que l’occasion se présente, de redonner un peu plus d’aura à notre profession. Nous ne pourrons jamais avoir  un lobbying aussi efficient que celui des assurances maladie mais nous devons tous participer à cette entreprise pour conserver notre indépendance et notre dignité, et aussi pour le bien de nos patients.

Jacky Samson,
Président de la SDS