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Billevesées et autres coquecigrues

Éditorial de la 1e annonce du 23e congrès de la SDS

Prof. Jacky Samson

L’homme est imparfait, mais ce n’est pas étonnant si l’on songe à l’époque où il fut créé.
Alphonse Allais

Voici deux termes qui sont bien peu usités car ils sont sans doute considérés comme trop sophistiqués à l’époque d’internet, des réseaux sociaux et du franglais. Depuis quelques années, on parle plus volontiers de fake news. Ce terme aurait été utilisé pour la première fois en 1999 lors d’une émission télévisée satirique américaine «The daily show», parodie de journal télévisé, présentée par Jon Stewart et basée sur des informations truquées. Cette expression est devenue courante dans les médias francophones en 2016 lors des campagnes pour le Brexit et pour l’élection présidentielle américaine pour désigner les informations truquées dans le but de tromper. L’Office québécois de la langue française et l’Académie française ont proposé différents termes pour traduire fake news mais aucun n’est sorti de l’anonymat. Le terme d’«infox», mot valise constitué à partir de «information» et «intoxication» , proposé par la Commission d’enrichissement de la langue française, n’a guère eu plus de succès. Il en est de même pour le terme «hoax» réservé aux informations erronées qui circulent sur internet.

Assez rapidement, l’expression fake news n’a plus été réservée au domaine politique et elle a été utilisée à tort et à travers ; en réalité et de façon extensive, pour désigner toute information fausse sans qu’il y ait obligatoirement une volonté évidente de donner une information frauduleuse ou truquée. Avec ce sens élargi qui va sans doute perdurer, on peut se demander si le domaine médical ne pourrait pas être l’objet lui-aussi de fake news.

Au début des années 2000, plusieurs pays (le Japon, l’Allemagne, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France) ont, suite à une recommandation de l’OMS de 2003, lancés des campagnes avec le slogan «Manger cinq fruits et légumes par jour» ; la Suisse avait commencé la sienne dès la fin de l’année 2001 avec le slogan «Cinq par jour». Ces recommandations qui visaient à augmenter la consommation de fruits et légumes, devaient entraîner une diminution de la mortalité due aux cancers, aux maladies cardiovasculaires et réduire l’incidence de l’obésité et du diabète de type 2. La campagne, basée sur un slogan simpliste et minimaliste, n’apportait pas suffisamment d’arguments pour entraîner l’adhésion de la population qui n’y a vu, avant tout, qu’une nouvelle contrainte et une dépense supplémentaire. La campagne ne s’adressait qu’à la population occidentale aisée car bien des êtres humains vivants en Afrique, en Amérique, en Asie et en Arctique, n’étaient pas en mesure de l’appliquer. Vingt ans après le début de cette campagne, on ne trouve aucune publication pour présenter un bilan positif. On pourrait en conclure que cet échec est consécutif au manque d’adhésion de la population. Que nenni! Des méta-analyses récentes ont montré que, contrairement aux études qui ont servi de base à la recommandation de l’OMS, le bénéfice de ce régime est négligeable, voire sans intérêt. Toutefois, aucune étude n’a montré que ce régime pouvait être nuisible. Cet échec n’a pas empêché les Nations Unies de déclarer 2021 comme «Année internationale des fruits et légumes». En avez-vous entendu parler?

En 2011, trois médecins américains, les docteurs H. Gilbert Welch, Lisa M. Schwartz et Steven Woloshin, ont publié un livre ayant pour titre «Le surdiagnostic» et pour sous-titre «Rendre les gens malades pour la poursuite de la santé». Nous nous permettons de reproduire en grande partie la quatrième de couverture qui résume succinctement le contenu de ce livre : «Après qu’on eût modifié les critères utilisés pour définir l’ostéoporose, sept millions d’Américaines ont été transformés en patientes du jour au lendemain. La prolifération du monitorage fœtal dans les années 1970 a été associée à une augmentation de 66% du nombre de femmes à qui l’on a dit qu’elles devaient avoir une césarienne, mais cela n’eût aucun effet sur le nombre de nouveau-nés requérant des soins intensifs ni sur la fréquence de la mortalité des nourrissons. L’introduction du dépistage du cancer de la prostate a résulté en ce que plus d’un million d’Américains se soient fait dire qu’ils avaient un cancer de la prostate ; alors que les études cherchant à vérifier s’il s’en trouve quelques-uns qu’on aurait aidés se contredisent, il y a consensus que la plus grande partie ont été traités pour une maladie qui ne les aurait jamais affectés. En tant que société fascinée par les progrès techniques et les percées de la connaissance scientifique, nous avons rétréci la définition de ce qui est normal et nous transformons en patients de plus en plus de bien portants. Les diagnostics d’un grand nombre de conditions, dont l’hypertension artérielle, l’ostéoporose, le diabète et même le cancer ont explosé au cours des dernières décennies tandis que les décès provoqués par ces maladies sont restés constants.» Ce constat est accablant et on doit se poser une question que les auteurs se sont bien gardé d’aborder ouvertement : n’y aurait-il pas des forces occultes ou quelques fake news soigneusement distillées pour orienter cette évolution? Ce processus semble bien s’être répété sous une forme similaire pour le vaccin anti-Covid 19?

Le 22 mai 2020, le Lancet publiait une étude «Hydroxychloroquine or chloroquine with or without a macrolide for treatment of Covid-19 : a multinational registry analysis» qui suggérait que l’hydroxychloroquine ou la chloroquine, associées ou non à un antibiotique comme l’azythromycine, augmentaient la mortalité et les arythmies cardiaques chez les patients hospitalisés pour Covid-19. Bien que certains auteurs aient crié immédiatement à la supercherie tellement la ficelle était grosse, cette publication a entraîné la suspension momentanée de toutes les études testant l’hydroxychloroquine, sauf en Grande Bretagne (essai Recovery). Le 3 juin 2020, l’OMS a repris son essai clinique Solidarity sans attendre que le Lancet annonce le 4 juin 2020 le retrait de l’étude frauduleuse. Dans ce cas particulier, il est difficile d’établir quelle était la motivation des auteurs ou plutôt du premier auteur, le Prof. M R Mehra, car les trois autres se sont rapidement rétracté, n’étant sans doute que des comparses. Cette publication créa un scandale planétaire qui a terni l’image du Lancet considéré comme l’une des meilleures revues médicales. A cette occasion, le Lancet fut comparé à «un tabloïd de la presse médicale» ayant la volonté «de faire le buzz (…) coutumier du fait, de temps en temps, de s’asseoir sur la déontologi ». En effet, en 1998 déjà, le Lancet avait publié un article qui fit un scandale de la même ampleur : Andrew Wakefield avait réalisé une étude montrant un lien possible entre le vaccin ROR et le syndrome autistique. La réaction fut beaucoup plus lente et le Lancet ne rétractera la publication qu’en 2010 soit 12 ans après sa parution!

Le Lancet n’est pas la seule revue à publier des articles qui n’ont pas été correctement évalués par le comité de lecture : environ 1 500 publications médicales sont rétractées chaque année. Le comité de lecture est composé par trois personnes au minimum : le rédacteur en chef de la revue et deux confrères choisis en raison de leur compétence sur le sujet traité. Richard Horton est rédacteur en chef du Lancet depuis 1995 : il a donc laissé paraître deux études qui ont créé un scandale planétaire. Toutefois, on ne peut pas dire qu’il manque de lucidité car, en 2016, il suggérait qu’«Une grande partie de la littérature scientifique, sans doute la moitié, pourrait être tout simplement fausse» . Il n’a pas prononcé cette phrase dans un moment d’égarement ou de perte de conscience car, en 2018, il disait la même chose sous une autre forme : «Dans leur désir de raconter une histoire passionnante, les chercheurs sculptent trop souvent les données pour qu’elles coïncident avec leur théorie préférée du monde». Je fus pendant 14 ans le rédacteur en chef d’une modeste revue, Médecine Buccale Chirurgie Buccale (devenue en 2018 le Journal of Oral Medicine and Oral Surgery), et je me suis bien gardé d’avoir la même passivité complice que Richard Horton : le rédacteur en chef doit être le garant de l’intégrité de ce qui est publié dans sa revue en faisant la chasse aux fraudeurs (données falsifiées, plagiat …). Il doit se livrer régulièrement à des investigations aboutissant parfois à des situations cocasses ou amenant quelquefois à mettre à jour une véritable industrie de la falsification.

Dernièrement, il y a un autre domaine où les fake news, les manœuvres délusoires, les paralogismes et les sophismes ont déferlé en abondance. Nous ne les détaillerons pas tous tant leur nombre est conséquent. Nous retiendrons seulement deux exemples où on peut identifier une distorsion manifeste.
Dans un rapport paru le 28 octobre 2021, l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation en France, un organisme lié au Ministère de la Santé, a fourni des données sur le taux d’hospitalisation des «patients Covid». En 2020, 218 000 «patients Covid» ont été hospitalisés ce qui correspond à «2% de l’ensemble des patients hospitalisés au cours de l’année 2020, tous les champs confondus» et à «5% de l’ensemble des patients pris en charge en service de soins critiques». Au cours de l’année 2020, les «patients Covid» ont représenté 11% des admissions en réanimation. Certes, quelques services ont été débordés mais, pour la plupart, on est resté bien en deçà du niveau de saturation. Les Professeurs et autres spécialistes, présents régulièrement dans les médias et dont certains avaient manifestement une dilection pour paraître, pouvaient donc se le permettre sans perturber le fonctionnement de leur service. Ceci ne les empêchait pas d’alerter en permanence sur la saturation de l’ensemble des services de réanimation. Rappelons qu’en général les responsables politiques prenaient des mesures sanitaires (confinement, isolement, limitation des déplacements, port du masque, réalisation de test, désinfection des mains, vaccination …) en fonction du taux de saturation des services de réanimation. Pour compléter le tableau, on doit ajouter qu’en 2020, en France, l’hospitalisation privée n’avait pas l’autorisation de prendre en charge les «patients Covid»!

Autre domaine où la distorsion a été manifeste. La contamination par le Covid-19 se fait selon 3 modes : par des gouttelettes (particules de plus de 100 nm), par des aérosols (particules de moins de 10 µm) et par contact physique avec un sujet ou une surface contaminés. Dès l’apparition de la pandémie, on a préconisé le respect de gestes barrières : port du masque, distanciation sociale, lavage/désinfection des mains et aération des locaux. Les médecins hygiénistes, comme le Prof. Didier Pittet (Hôpitaux universitaires de Genève), ont pensé initialement que la transmission était principalement manuportée. Mais, très rapidement, on s’est aperçu que cette voie n’était probablement pas essentielle. Pour le Prof. Antoine Flahaut, directeur de l’Institut de santé globale à l’Université de Genève, la transmission du SARS-CoV-2 se fait quasi exclusivement par aérosols. La contamination à partir d’une surface souillée avait été démontrée pour certains virus respiratoires et les autres coronavirus depuis plusieurs années. En mars 2020, on a pu confirmer expérimentalement la transmission du SARS-CoV-2 par contact mais, pour les Prof. Joanna Merckx et Emanuel Goldman, ces résultats n’étaient pas pertinents dans la vraie vie car on avait utilisé une quantité très importante de particules virales : «Il faudrait que 100 personnes toussent ou éternuent sur la même petite zone» pour avoir une telle concentration de particules virales! En conséquence, dans la vraie vie, le risque de contamination à partir d’objets ou de surfaces infectés est «non significatif, même pas mesurable». Ces résultats seront confirmés par des études ultérieures et aucun cas de contamination par contact n’a jamais été rapporté. Dans ces conditions, l’emploi du gel hydroalcoolique ne peut être considéré comme un geste barrière stricto sensu. Le 22 septembre 2020, sur le plateau de CNews, le Dr Martin Blachier fait état de ses doutes à ce sujet. Dans les minutes qui suivent la fin de l’émission, le Prof. Pittet, n’acceptant sans doute pas d’être désavoué, poste sur Twitter un message lui reprochant son arrogance, son inconscience, son ignorance totale… Il accepte d’autant moins cette mise en perspective que fin juin 2020, il a été désigné par le Président de la République française pour présider la Mission indépendante nationale sur l’évaluation de la gestion de la crise de la Covid ; on n’entendra jamais plus parler de cette Mission créée dans l’affolement du moment. Quelques jours après ce message peu avenant sur Twitter, ils se retrouvent dans les couloirs de LCI, chaine française d’information en continu où s’est exilé Darius Rochebin. Le Prof. Pittet se précipite vers le Dr Blachier et l’interpelle en lui demandant «Qui est votre responsable?». Ce dernier lui rétorque «Cher Professeur, sachez que, depuis des années, j’ai refusé toutes les opportunités académiques qui m’ont été offertes, notamment pour éviter d’être placé sous une quelconque hiérarchie. Donc, mon responsable, vous l’avez devant vous, c’est moi et moi seul!». Le Prof. Pittet poursuit : «Quelle est votre légitimité pour contester des faits communément admis par la communauté scientifique?». Ce à quoi le Dr Blachier répond : «Ma légitimité  Mais j’ai simplement lu les études publiées sur le sujet  Simplement!». Ce début d’algarade ayant alerté une partie de la rédaction de la chaîne, le Prof Pittet interrompt son apostrophe, lui adresse un regard menaçant avant de tourner les talons et lui lance une dernière invective «On va se revoir!». Voici comment la vérité d’hier peut devenir une fake news le lendemain quand on manifeste aussi peu de résipiscence.

Les fake news ont toujours existé mais leur diffusion fut longtemps limitée au comptoir du café du village. A la fin du XIXe siècle, l’écrivain français Léo Taxil fit fortune dans la presse à gros tirage en révélant régulièrement aux bons citoyens des informations secrètes concernant diverses organisations qu’il considérait comme maléfiques. Il s’attaqua successivement à l’Eglise, aux anticléricaux, aux francs-maçons… Il fut l’un des inspirateurs de l’industrie des fausses nouvelles. Avec l’émergence des médias, puis de leur massification, l’abondance de réseaux sociaux qui permettent de conserver l’anonymat, les fake news ont atteint un niveau de pollution inquiétant et favorisent le développement du complotisme. On doit constater que les fact-chekers ou les responsables des réseaux sociaux n’arrivent pas et n’arriveront probablement pas à contrôler efficacement la situation. Tout ceci aboutit à une désinformation de masse qui manipule la doxa et qui introduit une controverse stérile même dans le domaine médical. Pour conclure, faisons appel à l’humour légendaire de Winston Churchill «Un nombre effroyable de mensonges circulent de par le monde, et le pire, c’est que la moitié sont vrais» ou à un constat plus pragmatique du même personnage «Là où règne une grande liberté de parole se disent beaucoup de sottises».