Retour aux publications

Rudéralisation de la Médecine Dentaire

Prof. Jacky Samson

Jusqu’en 2018, la Médecine Dentaire a utilisé le Tarif dentaire adopté en 1994. Or, dans L’Accord sur la valeur du point applicable aux prestations médico-dentaires, signé en 1997 par le Concordat des Assureurs-maladie suisses et la SSO, il est stipulé dans l’art. 2 que « Les parties entament des négociations en vue de fixer une nouvelle valeur du point dès que l’indice suisse des prix à la consommation aura fluctué de 10 points au moins par rapport au niveau indiqué au ch. 1 al. 2 ou que des négociations sur l’adaptation de la valeur du point auront abouti dans une autre branche des assurances sociales ». Cet accord a été avalisé par le Conseil fédéral le 14 mai 1997.

La base de calcul de « la valeur du point reposait sur le niveau de 134,0 points de l’indice suisse des prix à la consommation (base ISPC décembre 1982 = 100) ». L’ISPC a atteint 134 + 10 soit 144 au cours de l’année 1997 ; 154 (134 +10 +10) à la fin de l’année 2005. Il était en octobre 2018 de 159,9 soit supérieur de plus de 25 points à celui utilisé pour l’évaluation du point en 1994. Logiquement, si l’Accord avait été respecté, on aurait déjà dû effectuer deux réévaluations de la valeur du point : si la valeur du point avait bien été indexé sur l’ISPC, on aurait eu une valeur du point à Fr. 3.33 dès 1997 et une valeur du point de Fr. 3.56 dès 2005. Si on devait effectuer le calcul à partir de la valeur de l’ISPC d’octobre 2018, la valeur du point serait à Fr. 3.70 ! Malheureusement, cet accord n’a pas été respecté et la valeur du point est resté inchangé pendant 24 ans ! Au cours de cette période, les primes de l’assurance maladie augmentaient de 159% en 20 ans, et les salaires de 50%.

Le nouveau tarif (Dentotar®) a été négocié uniquement avec les assurances sociales (AA/AM/AI). Les assurances maladie ont refusé d’entrer en matière, ne respectant pas l’accord signé en 1996, ce qui nous oblige ainsi à garder en parallèle l’ancien tarif. Le nouveau tarif ne concerne réellement que « quelque 2 à 3% de l’ensemble des coûts annuels de la médecine dentaire ». La SSO ajoute que « Cette révision était devenue indispensable pour que le patient dont les traitements sont pris en charge par les assurances sociales (AA/AM/AI) ait de nouveau accès aux techniques diagnostiques et thérapeutiques d’aujourd’hui ». La SSO essaie de nous infrasquer de façon grossière. Elle sous-entend que l’ancien tarif ne nous permettait pas d’avoir « accès aux techniques diagnostiques et thérapeutiques d’aujourd’hui ». Est-ce à dire que les patients LAMal continueront à être traités avec des techniques diagnostiques et thérapeutiques qui ne sont pas d’aujourd’hui ? Si on se réfère au TarMed, il a été modifié plus d’une dizaine de fois depuis 2004 et le tarif adapté plusieurs fois, les deux dernières modifications importantes (2014 et 2017) ont été imposées par le Conseil fédéral qui a fait usage de la compétence subsidiaire conférée par l’art. 43, al. 5bis, LAMal. Depuis le 1er janvier 2018, il y a aussi 2 tarifs en médecine car la décision du Conseil fédéral s’impose aux assurances maladie mais pas aux assureurs sociaux ! Et comme cela leur pose des problèmes techniques, ces derniers ont besoin d’un délai supplémentaire pour les résoudre. Toutefois, il est fort probable que les assureurs sociaux vont s’efforcer d’appliquer rapidement le nouveau tarif car il leur est plus favorable.

Dans la présentation de la révision tarifaire, la SSO laissait accroire que « la législation à l’échelon cantonal ou communal » pour les « Prestations complémentaires, services sociaux, soins dentaires scolaires … – si basés jusqu’ici sur le « tarif SUVA » – devraient se baser à l’avenir sur le tarif dentaire AA/AM/AI ». Que de naïveté ou d’inconséquence. Les autorités des cantons de Vaud et de Genève ont immédiatement diminué la nouvelle valeur du point (Fr. 0.85). A Genève, la Direction générale de la Santé, après avoir dans un premier temps fixé unilatéralement la valeur du point, mène des négociations en catimini, ignorant les représentants habituels des médecins dentistes. Sur le canton de Vaud, le Conseiller d’Etat Pierre-Yves Maillard a refusé initialement toute augmentation pour la prise en charge des soins dentaires par ses services, ce qui a amené la SVMD à quitter la table des négociations. Les négociations qui se sont poursuivies sans la SVMD, ont abouti à un accord sur une augmentation progressive de la valeur du point (Fr. 0.85 en 2019 et 0.90 en 2020 avec la perspective d’atteindre 1.00 à terme). Certes, il s’agit d’une augmentation différée mais, après tant d’attente, elle est néanmoins bien venue. La plupart des confrères vaudois semblent disposés à accepter cette nouvelle convention.

On va donc fonctionner, probablement pendant longtemps, avec 2 tarifs que les instances cantonales peuvent et pourront modifier à leur guise. Pourquoi se gêneraient-ils puisque la SSO a accepté la situation initiale sans réagir ? Elle aurait pu contraindre les assurances maladie à respecter leur signature en recourant au Tribunal des Assurances sociales ou au Tribunal fédéral des assurances, à l’OFSP et pourquoi pas au Conseil fédéral puisque ce dernier avait avalisé l’Accord en 1997 ? On peut se demander pourquoi le tarif a été entièrement révisé alors qu’on aurait pu se contenter de modifier les positions devenues inadaptées comme cela est fait régulièrement pour le TarMed (modifications intéressant aussi bien la définition des actes que leur valeur). En procédant ainsi et en demandant une réévaluation de la valeur du point comme c’était prévu dans l’Accord de 1997, la révision du tarif aurait été bien plus transparente et les autorités cantonales n’accuseraient pas la SSO de vouloir masquer une augmentation abusive des soins dentaires.

Que faire pour sortir de cet imbroglio et retrouver un terrain propice à notre activité  ? La solution la plus sage serait probablement de prendre l’avis et les conseils de l’OFSP, voire d’approcher le Conseil fédéral, dans le but d’aboutir à un tarif révisé unique, prenant comme base l’ancien tarif. Certes, cela obligerait la SSO à abandonner Dentotar® … comme elle a su renoncer au classement de nos actes en A, B, C ou D qu’elle avait proposé il y a quelques années.

« Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. »
Etienne de La Béotie