Spicilège pour une syndémie
Editorial du programme du 22e congrès de la SDS
La guerre! C’est une chose trop grave pour la confier à des militaires.
Georges Clémenceau
Cette sentence est là pour rappeler que le terme de guerre a été utilisé, pour évoquer la pandémie du Covid, par Emmanuel Macron dans sa déclaration le 16 mars 2020 (« Nous sommes en guerre. ») et il a été repris par António Guterres le 24 mai 2021 (« Nous sommes en guerre contre un virus. ») lors de la séance d’ouverture de l’Assemblée mondiale de la Santé à Genève. Ce terme apparaît largement inapproprié car, si cette « guerre » a déjà fait dans le monde environ 3 500 000 morts, on est bien loin des chiffres des deux premières guerres mondiales, de la grippe espagnole de 1918 … qui ont fait plusieurs dizaines de millions de morts. Et à la différence du Covid-19, il s’agissait en général de sujets jeunes et en bonne santé. Certes, on ne peut pas banaliser ces morts mais voici quelques chiffres qui auraient dû permettre de relativiser : bronchopneumopathies et infections respiratoires cinq millions et demi de victimes dans le monde chaque année, la pollution en Chine un à deux millions, même chiffre pour l’Inde, cancers neuf millions, tuberculose un million et demi, Sida un million, paludisme cinq cent mille, grippe saisonnière six cent mille, accidents de la route un million … tandis que neuf millions d’êtres humains – dont la moitié d’enfants – meurent de faim chaque année. Or, aucun de ces chiffres ne suscite une émotion collective identique à celle liée au Covid-19. Peut-être que les médias, qui donnent complaisamment chaque jour le nombre de morts dus au Covid-19, auraient-ils dû afficher le nombre de morts liés à la faim, aux cancers, au tabac, à l’alcool, à la drogue… ? Ces chiffres, associés souvent à une communication anxiogène et des prédictions apocalyptiques, n’ont fait que susciter l’angoisse et la psychose dans la population. Dans notre société obnubilée par le principe de précaution, l’oubli voire l’inversion des valeurs et des connaissances sont tels que le suspect est désormais celui qui se fie encore aux données acquises de la science et qui respecte encore la démarche des anciens. Cette évolution est conforme à la « pensée gélatineuse contemporaine ». On peut citer de nombreux exemples de prises de position ou de décisions délirantes : les masques ne servent à rien (Olivier Véran) et peuvent même être nuisibles (Alain Berset), obligation d’effectuer un test PCR même si on a une sérologie naturelle positive ou si on a été vacciné, faire une injection du vaccin même si on a une sérologie naturelle positive, les anticorps disparaissent rapidement après l’infection, la délivrance du passeport vaccinal est prévue sans même contrôler l’efficacité de la vaccination par une sérologie, pas d’harmonie de la durée de la quarantaine et de la validité des tests, durée de l’immunité post-infection fixée arbitrairement tantôt à 180 jours tantôt à 90 jours car la sérologie n’est pas jugée suffisamment fiable – « Les tests sérologiques ne sont d’aucune utilité pour délivrer un passeport immunitaire. » dixit le Prof. Jacques-André Romand – …
Face à cette pandémie, chaque pays a pris des mesures différentes, quelquefois contradictoires, sans que cela interpelle les autorités politiques, chacun campant dans une béate certitude, retranché derrière ses frontières. Certes, ils étaient face à une situation nouvelle mais ils ne semblaient pas en évaluer correctement les conséquences sanitaires, sociales et économiques. La plupart se sont entourés d’un conseil ou d’une task force scientifique qui a fonctionné le plus souvent en l’absence de toute transparence, servant plus apparemment de caution aux autorités politiques que de source d’informations. Cette absence de transparence a permis entre autres de masquer en partie les errements de ces conseils ; par exemple, la task force scientifique de la Confédération s’est lourdement trompée dans son alerte du 20 avril 2021 et aucun des trois scénarios proposés ne s’est réalisé. Pour Alain Berset, « c’était très confortable » pour le Conseil fédéral d’écouter l’avis de la science au début de la pandémie et de le mettre en œuvre. Et d’ailleurs, quand il doit reconnaître avoir commis quelques erreurs dans la gestion de la pandémie, il use d’une excuse bien maladroite : « Je n’ai pas assez remis en question la science au début ». Christian Althaus, qui a quitté la task force en janvier 2021 en raison de profondes divergences, a commenté dans une série de tweets les « déclarations manifestement fausses » de Alain Berset. Peut-être ce dernier aurait-il dû écouter de préférence Christian Althaus plutôt que le reste de la task force car c’est un des épidémiologistes qui a proposé des prévisions fiables et pertinentes.
Pour faire face à cette pandémie, la plupart des pays ont procédé par mimétisme et imité ce que la Chine avait réalisé à Wuhan, en oubliant que ce pays n’a qu’un respect très relatif des libertés individuelles. Or, le confinement est une mesure passéiste et archaïque qui s’apparente à la punition collective : il y a bien longtemps que l’on a compris que pour lutter contre les maladies contagieuses graves comme la lèpre, la peste … il faut isoler les malades dans des léproseries ou des lazarets et non pas confiner la population. Les infectiologues ont établi depuis bien longtemps les moyens efficaces pour lutter contre la propagation des épidémies : lavage des mains, port du masque, dépistage de masse, isolement des malades et traitement. Il est difficile de savoir pourquoi la plupart des pays – sauf la Corée du Sud, Taïwan, Hong Kong, la Suède et les Pays-Bas – ont opté pour un confinement plus ou moins draconien, mettant en place un totalitarisme sanitaire, que certains ont jugé digne d’une société orwellienne, d’où l’apparition du hashtag #Covid1984 sur les réseaux sociaux et de graffiti “ COVID19-84 “ à Paris. Ce confinement généralisé dont l’efficacité n’a jamais été démontrée scientifiquement, a eu des conséquences individuelles, sociales et économiques qui n’avaient pas été analysées au préalable ; le bilan sera probablement terrible lorsqu’on en aura fait l’évaluation complète. Très précocement, certains ont affirmé que le remède était pire que le mal. Plus récemment, le think tank Generationlibre a publié les résultats d’une étude réalisée avec l’épidémiologiste Henri Leleu. Sur la base d’un « modèle agent », les auteurs ont procédé à la modélisation des effets bénéfiques et des effets néfastes des mesures sanitaires appliquées (confinement …) en France afin de proposer leur évaluation. « Le modèle établit qu’environ 100’000 morts ont été évitées » en France. Si l’on réfère à l’âge des personnes décédées (81 ans en moyenne) et que l’on estime qu’elles auraient pu vivre 5 années de plus, on peut en déduire que le confinement et les autres mesures annexes ont permis d’épargner 500 000 années de vie. Pour étudier les effets néfastes, les auteurs se sont intéressés à l’impact des mesures sanitaires imposées sur l’économie et, par conséquent, sur le niveau de revenu de la population. Plusieurs études ont déjà démontré qu’il existait une relation directe entre l’espérance de vie et le niveau de revenus. Or, la politique sanitaire, qui a été comparable dans la plupart des pays, a provoqué la pire récession économique de l’après-guerre. En considérant qu’il faudra environ 5 ans pour résorber la perte de revenus, les auteurs estiment que, pour les personnes concernées, cela va se traduire par la perte de 1 200 000 années de vie. Certes, certains esprits chagrins vont ergoter mais il faut bien reconnaître que les auteurs ont réalisé une étude scientifique sérieuse de la principale partie des effets néfastes de la politique sanitaire adoptée. En l’absence de préparation, les autorités politiques ont été prises au dépourvu par la première vague de la pandémie mais, par la suite, elles se sont « enfermées dans leur déroute stratégique. »
Les premiers vaccins contre le Covid-19 ont été commercialisés en décembre 2020. Après presque six mois, on peut évaluer les bénéfices liés à ces vaccins : ils sont incontestables, même s’il y a quelques effets indésirables ou “échecs“ largement médiatisés. Malheureusement, ces vaccins ne sont pas accessibles à tous : actuellement, 85% des doses ont été livrés aux pays riches et 0,3% aux pays à revenu moyen ou faible. Juste avant le Sommet mondial de la Santé qui a eu lieu le 21 mai 2021, à Rome, en parallèle au G20, la Commission européenne a assuré que l’Union européenne serait « constructive » à l’OMC pour évaluer la levée des brevets des vaccins anti-Covid-19, demandée par les Etats-Unis et par plus d’une centaine de pays (Inde, Afrique du Sud …). Toutefois, elle précise qu’elle proposera d’abord des mesures pour augmenter rapidement la production! Selon l’Oxfam, « des membres clés du G20, notamment le Royaume-Uni, l’Allemagne, continuent de bloquer les initiatives visant à lever les barrières liées à la propriété intellectuelle » ; l’Italie et l’Espagne sont favorables à une levée des brevets, la Suisse non, la France a « une position ambiguë ». Même si les sociétés pharmaceutiques semblent pratiquer des tarifs différentiels en fonction des pays, le vaccin reste trop cher pour de nombreux pays. Comme les sociétés pharmaceutiques tiennent à pérenniser leur monopole, elles feront tout pour conserver leur rente. Selon Forbes, les vaccins anti-Covid-19 ont permis à au moins neuf personnes de devenir milliardaires en quelques mois : Stéphane Bancel, PDG de Moderna, arrive en tête avec 4,3 milliards de dollars, suivi par Ugur Sahin, PDG et co-fondateur de BioNTech, 4 milliards de dollars. On retrouve huit autres nouveaux milliardaires dans les sociétés pharmaceutiques. La fortune cumulée des neuf milliardaires cités, 19,3 milliards de dollars, « permettrait de vacciner 1,3 fois l’ensemble des pays à faibles revenus ». En six mois, le total des gains liés aux vaccins anti-Covid-19 s’élève à 32,2 milliards de dollars pour un peu moins de 2 milliards de doses administrées. Ceci vous donne une idée de la marge bénéficiaire qu’ont réussi à imposer les sociétés pharmaceutiques, après avoir bénéficié initialement de subventions publiques conséquentes pour effectuer leur recherche. On croyait naïvement que l’usure était encadrée ? On peut se demander également pourquoi Moderna laisse-t-il entendre, sans présenter d’arguments scientifiques, qu’il faudra sans doute prévoir une troisième injection avant la fin de l’année pour les premiers vaccinés ? Il ne faudrait surtout pas tuer la poule aux œufs d’or !
Enfin, on ne saurait terminer ce spicilège sans faire un détour en sémantique. Le 7 mai 2020, deux mois après le Québec, le secrétaire perpétuel de l’Académie française a rendu un avis sans vraiment consulter les autres membres de l’Académie : « … LA Covid-19. On me répète qu’il faut en parler au féminin, puisqu’il s’agit de l’acronyme de Coronavirus Disease 2019, traduit donc « Maladie à coronavirus 2019 ». Maladie étant féminin, je m’y tiendrai donc désormais : la Covid-19. ». Cet avis semblait logique car les sigles et les acronymes ont le genre du nom qui constitue le noyau du syntagme dont ils sont l’abréviation. Toutefois, cet avis allait à l’encontre de l’usage courant qui s’était déjà imposé dans le corps médical et la classe politique. Lors de la dernière Semaine de la langue française, en mars 2021, l’IFOP (Institut français d’opinion publique) a réalisé un sondage : environ 80% des Français disent LE Covid, 40% LA Covid ; le total fait 120% car 20% des personnes jonglent entre les deux genres. Pour le dictionnaire Larousse, “ COVID-19 ou Covid-19 “ est « féminin ou masculin ». Dans l’édition 2022, le dictionnaire Le Petit Robert estime que le mot “covid“ s’écrit avec une minuscule et qu’il est plutôt du genre masculin («masculin ou féminin») car l’usage fait loi. Le Petit Robert distingue également le terme générique de “ covid “ avec une minuscule (« suspicion de covid ») et celui spécifique de « Covid-19 » avec une majuscule. Côté orthographe, le Larousse met systématiquement une majuscule ce qui donne deux graphies possibles “ COVID-19 ou Covid-19 “. Covid viendra donc allonger la liste des mots qui peuvent être utilisés aux deux genres et, sans doute qu’un jour, il n’y aura probablement plus qu’une seule orthographe.
Au vu des dommages collatéraux, la gestion de cette crise sanitaire paraît bien inconséquente : « sous la dictature de l’émotion », on a eu recours à des moyens anachroniques, proposés par des experts, qui se sont traduits par « un véritable totalitarisme sanitaire ». « Certains experts, enfermés dans une logique de surenchère, semblables au faux devin d’Astérix, ont (eu) tout intérêt à entretenir cette hystérie par un discours catastrophiste et alarmiste, car la panique leur (a) confère(é) influence et notoriété ». Pourquoi n’a-t-on pas choisi l’option diagnostiquer/isoler/soigner prise par certains pays, ce qui a permis de confirmer l’efficacité déjà connue de ces mesures ? Il y a bien quelques experts qui ont proposé cette option dès le départ mais ils ont été vite rabroués, quelquefois sauvagement. Avec une maladie aussi peu mortelle (mortalité de 0,5 % pour l’ensemble de la population mais qui s’élève toutefois à 20% chez les plus de 90 ans ; en 2020, l’Office fédéral de la statistique prévoyait 68 400 décès, il y en a eu 75 900 soit 7 500 de plus ce qui correspond à une augmentation de 11% ; pour mémoire, en 1918, elle avait été de 40% avec la grippe espagnole), on peut s’étonner qu’elle ait pu paralyser le monde entier : ceci est bien inquiétant. L’heure des comptes viendra sans doute un jour pour tous ces dirigeants qui ont oublié de faire un bilan coûts-avantages avant de précipiter leur pays dans une situation qui serait ubuesque si elle n’était pas avant tout catastrophique. On connaît déjà leur ligne de défense : responsables mais pas coupables, comme pour le sang contaminé !
Pour ne pas apparaître comme un fieffé contempteur, nous demanderons à George Orwell de se faire notre interprète : « Il y a des idées d’une telle absurdité que seuls les intellectuels peuvent les croire. »